mercredi 16 mai 2012

Mine obscure

Qui dit escale à Potosi, dit passage obligé par les mines. En effet, le Cerro Rico, la montagne qui domine la ville, regorge de minerais divers et variés (principalement de l’argent) et est exploitée depuis le XVème siècle, initialement sous l’influence de l’empire espagnol. L’activité minière fut si importante et lucrative que, jusqu’au XVIIIème siècle, cette ville fut considérée comme la capitale de la couronne d’Espagne en Amérique du Sud.

Aujourd’hui encore, les mines sont au cœur de la vie de la cité, bien que les gisements soient de plus en plus limités et que les conditions de travail soient extrêmement rudes. En effet, le gouvernement ayant nationalisé cette ressource et l’exploitant via des coopératives, les moyens financiers manquent cruellement pour moderniser les méthodes d’exploitation des gisements, à tel point que les façons de travailler ont très peu évolué depuis l’époque coloniale. Le problème est d’ailleurs commun a toutes les abondantes ressources du pays. Les boliviens et le gouvernement prétendent légitimement à pouvoir bénéficier de la manne économique que représente cette richesse. Toutes les multinationales privées ont été chassées du pays (Evo Morales vient au même titre de nationaliser le réseau électrique). L’idée pourrait s’avérer bénéfique pour la population, mais dans le même temps la Bolivie ne dispose pas des finances pour créer les moyens de production nécessaires. Du coup, les conditions de travail restent très archaïques, et les profits engendrés sont loin d’autoriser des investissements de modernisation et permettent péniblement de nourrir les mineurs et leurs familles.

Malgré cela, les mines ne désemplissent pas, la rudesse du travail étant compensée par des salaires relativement élevés (entre 2000 et 6000 Bolivianos, tandis que la moyenne nationale atteint tout juste les 1200 Bolivianos, soit environ 135 € mensuel). Cependant, certains mineurs ayant flairé un meilleur filon ont décidé de se reconvertir dans le tourisme et de permettre aux « gringos » que nous sommes d’aller voir de nos propres yeux la réalité des mines. C’est ainsi que nous avons pu « visiter » les lieux, dans une atmosphère nettement moins voyeuriste que nous ne craignions, et échanger avec notre guide, ancien mineur, et ses collègues encore en activité qui nous accueillent bien volontiers. Petite précision, leur sourire n’est pas gratuit : d’une part, 15% des bénéfices sont reversés à la coopérative minière ; d’autre part, la première étape de la visite consiste en un tour du marché des mineurs, où nous sommes incités à investir quelques bolivianos dans de la coca, du soda, des cigarettes, de l’alcool ou des bâtons de dynamites pour remercier les mineurs !

Suite à cela, le monde terrible de la mine nous a ouvert ses portes, de manière très brutale, le guide nous emmenant au fond d’un gisement en pleine activité et aucune infrastructure spécifique n’étant prévue pour le tourisme. Bref, une visite dure, flippante par moment (après avoir parcouru plus d’1,5km de galeries et descendus 3 étages, Maud et moi avons préféré attendre le reste du groupe qui est descendu jusqu’au moins 6, à plus de 100m de fond), mais aussi passionnante qui nous a permis d’avoir un aperçu de ce monde particulier, qui mêle enjeux économiques et traditions.

A Potosi, c’est encore près de 10 000 personnes qui s’engouffrent quotidiennement dans les galeries obscures et poussiéreuses du Cerro Rico, travaillant en moyenne 10 heures par jour 6 jours sur 7. De nombreux accidents et maladies sont à déplorer, l’espérance de vie des mineurs ne dépasse pas les 40 ans. C’est d’ailleurs pourquoi de nombreux blocages ont lieu dans le pays en ce moment, les mineurs bénéficiant d’une pension après leurs 60 ans mais revendiquant un droit à une pension anticipée en cas de maladies ou d’invalidité.

Pour les aider dans cette tâche, ils s’appuient sur de nombreux rituels mêlant étroitement superstition, alcool et coca. En voici quelques uns: 
  • Avant chaque journée de labeur, il est incontournable de boire pour honorer Pachamama, sorte de mère nature incarnée par la montagne. Plus l’alcool est pur, plus le minerai trouvé sera concentré en métaux précieux. Résultat des courses, avant de franchir l’entrée de la mine, toute personne pénétrant les lieux (touriste y compris) se doit de se servir une petite dose de whisky bolivien (alcool de cannes à sucre qui titre à 96°, immonde !), en verser 2 rasades sur le sol pour Pachamama et boire le reste ;
  • Chaque année au mois de juillet, des lamas sont égorgés devant les mines en offrande à Pachamama ;
  • Les femmes sont interdites de travail dans la mine afin de ne pas rendre Pachamama jalouse. Seules les veuves de mineurs sont autorisées à trier le minerai à la sortie des galeries, afin de leur permettre de conserver des revenus ;
  • Au sein de la mine, au fond des galeries, les mineurs honorent quotidiennement « El Tio », une représentation du diable, maître du sous-sol. Afin d’invoquer sa protection au sein de son antre, ils boivent à sa santé (inutile de vous dire que l’alcoolisme fait des ravages au fond des mines) et lui font des offrandes d’alcool, de tabac et de feuilles de coca;
  • Tous les mineurs mâchent quotidiennement environ 40g de feuilles de cocas (20g le matin, et 20 l’après midi, à tel point qu’ils en ont souvent les joues déformées), afin de rendre le travail moins pénible et de compenser le fait qu’ils ne se nourrissent pas au sein de la mine, cela portant malchance et l’air libre étant généralement trop long à rallier pour une simple pause repas.

Au-delà de ce côté spirituel, c’est toute l’organisation des lieux qui nous a été expliquée, les règles de cohabitation entre les différentes coopératives, les méthodes de travail et la répartition des tâches, les différents grades des travailleurs (depuis les « socios », les chefs des coopératives, qui se payent uniquement en fonction des quantités trouvées jusqu’aux travailleurs de seconde classe qui bénéficient de maigres salaires fixes), les différents types de minerais, les « règles de sécurité » mises en place, etc…

Une découverte vraiment enrichissante, qui nous a permis de palper d’un peu plus prêt la difficulté de la vie en Bolivie, et qui nous a confirmé encore une fois qu’on était pas si mal en France !

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