Après la visite intense et chargée d’Angkor, nous avons fait escale à Battambang. Au premier abord, cette ville, qui avec ses 140 000 habitants est la deuxième plus peuplée du pays, ressemble à un gros bourg de campagne relativement dépourvu d’attraits touristiques (si ce n’est le Bamboo train, mais ça fera l’objet d’un autre article). Du coup, pas de course aux monuments, pas de visites cadrées, pas de pression (même si ce n’est globalement pas ça qui nous ronge au quotidien…), on a pu prendre le temps de perdre un peu de temps !
Le programme était simple, flâner dans les marchés et les artères commerçantes, pédaler dans la campagne sans but précis, chercher le prochain coin d’ombre pour échapper au soleil quelque peu agressif en ce moment… et saisir les opportunités qui se présentent à nous. Les cambodgiens sont dans l’ensemble très curieux, sautant sur la moindre occasion pour mettre à profit les quelques mots d’anglais qu’ils connaissent (à défaut, les échanges de sourires suffisent !) et pour engager la conversation. Bien souvent, les difficultés de communication abrègent ces précieux moments, mais d’autres fois, lorsque le vocabulaire est plus fourni, ça débouche sur des choses plus étonnantes. Pour exemple, notre passage à Battambang a été marqué par 2 rencontres étrangement similaires et qui furent des vrais moments de plaisir.
La première fut celle de Sopairk, moine bouddhiste de 29 ans qui nous a littéralement accaparé dès que nous avons franchi le seuil du temple dans lequel il exerce. Il a d’abord fallu passer la petite désillusion quand on lui a expliqué que, contrairement à ce qu’il imaginait, les villes françaises ne ressemblaient pas du tout au bâtiment d’architecture coloniale française dans lequel il vit. S’en sont suivies presque 2 heures de discussion sur la spiritualité, sur son quotidien de moine et sur ses aspirations. A notre grand étonnement, après avoir appris qu’il était titulaire d’un doctorat de philo et constaté qu’il maîtrisait à merveille la langue de Shakespeare ainsi que quelques mots de français, il nous a annoncé qu’il envisageait sérieusement de troquer sa toge orange d’ici 3 / 4 ans pour fonder une famille et devenir chauffeur de Tuktuk. Difficile pour lui d’expliquer ça, mais en lisant entre les lignes, on a pu deviner qu’il s’agissait d’une part d’éviter d’aller bosser dans les champs, et, d’autre part, de faire des rencontres et d’avoir un revenu correct. Après avoir appris les derniers détails croustillants sur la vie du Bouddha, on a repris notre chemin.
Une heure plus tard, dans le but de rejoindre le Bamboo Train, on s’installe dans le Tuktuk de « DJ », chauffeur timide que nous avions déjà brièvement croisé la veille. Histoire de faire passer le temps, on engage la conversation avec lui tout en contemplant les paysages. Et là, on apprend qu’il y a encore 2 ans de cela notre pilote, casquette vissée sur sa tête bien ronde et chevelue et maillot d’une équipe de hockey américaine sur les épaules, était moine et ce depuis plus de 10 ans… ! Sur la route du retour, on lui explique que pourboire en français, ça veut dire « pour boire » et lui proposons donc de lui payer un verre, ce qu’il accepte sans se faire prier. Il nous emmène dans un bar à cambodgiens (concept à opposer aux bars à touristes), dans lequel on se fait servir de la Angkor Beer accompagnée d’amuse-gueules particuliers : peau de buffles archicuite et calamars devenus croustillants après avoir longuement séchés au soleil. Sont évoqués à demi-mot le fait que sa famille ait du fuir le pays pour échapper aux khmers rouges et qu’il est donc devenu moine pour pouvoir bénéficier d’une éducation , ce qu’il n’a pas pu avoir pendant son adolescence passée dans les camps de réfugiés. Je vous passe les détails, mais là encore, un grand moment pour nous.
Il ne faut croire pour autant que passer par le monastère soit la voie à privilégier pour devenir Tuktuk driver… Par contre, ces 2 parcours parallèles pourraient donner matière à l’industrie cinématographique locale pour tourner un remake cambodgien à « Taxi Driver ».